Artisan Parfumeur Mon Numero 6 En attendant la pluie

Le dernier salon annuel Pitti Fragranze m'a fait l'un des plus beaux cadeaux dont j'aurais pu rêver: la possibilité de rencontrer Bertrand Duchaufour, grand créateur s'il en est et l'un de mes nez préférés, qui a apposé sa signature olfactive à la fois sur des parfums de grande distribution et des parfums de niche, tels que Lime & Basil de Jo Malone, Colonia Assoluta d'Acqua di Parma (en collaboration avec Jean-Claude Elléna), ainsi que certaines fragrances de Comme des Garçons, de l'Artisan Parfumeur (Dzongkha, Fleur de Liane, etc…) ou encore de la marque Penhaligon's, qui a mis en place une fructueuse collaboration avec lui.

Dans le cadre de sa collaboration avec L'Artisan Parfumeur, Monsieur Duchaufour a tenu une conférence de presse pour le lancement de la collection Mon Numéro, une gamme de parfums exclusifs conçus pour la marque et utilisant des matières premières de qualité encore supérieure. Le cachet d'exclusivité provient également du fait que ces dix parfums, simplement identifiés par des numéros, seront chacun mis à la vente uniquement dans un des pays où la marque est distribuée. J'avais immensément hâte de pouvoir les sentir, et encore plus quand j'ai appris que ce serait Bertrand en personne qui les présenterait.

Le projet a été lancé il y a quelques années, avant que Duchaufour ne soit nommé directeur artistique; à l'origine, il devait s'agir d'une série de 15 parfums portant un numéro de 1 à 15 (le numéro 5 étant omis, pour des raisons évidentes). Le concept fut ensuite mis en œuvre en 2009 et certains des parfums furent vendus en exclusivité, tel le numéro 2, acheté par une cliente russe fortunée pour sa collection.

La numérotation n'est pas séquentielle; l'ordre est aléatoire, au gré de la création des fragrances assignées à chaque pays (qui a choisi un numéro au hasard). La marque a donné carte blanche à son créateur maison, ce qui explique que certains des parfums sont plutôt abstraits, comme le No. 10 (un cuiré-oriental créé pour les USA), tandis que d'autres s'inspirent des grands classiques, tels que le No. 8 (un poudré-floral conçu pour la France et librement inspiré d'Après L'Ondée de Guerlain). D'autres, enfin, puisent leur inspiration dans les voyages de leur créateur; c'est le cas du No. 6 (attribué à l'Italie).

"Destination voyage : évocation de renaissance où les premières gouttes de pluies redonnent la vie à la terre. La terre qui exhale de sublimes et envoûtants parfums. Une harmonie inhabituelle et lumineuse entre facettes vertes, fruitées, aqueuses, florales et boisées. Mon Numéro 6, d’humeur rêveuse et végétale, pieds nus sur la terre en pleine mousson"

Foto tratta da qui

Ce parfum m'a impressionné par la maîtrise dont un grand voyageur comme Duchaufour fait montre dans le maniement des contrastes pour évoquer les forces de la nature. Ce faisant, il se fait également maître ès-rythmes; en effet, Mon Numéro 6 fait le grand huit en alternant les notes chaudes et froides, salées et sucrées, sèches et humides.
Les notes de tête prennent leur essor sur la peau, en commençant par une explosion de poivre rose qui met d'emblée les narines à rude épreuve mais se voit contrebalancée très rapidement par un vent chaud et sec, chargé en électricité. L'effet de contraste induit par une indole entêtante saupoudrée d'une pincée de safran crée un effet de tension, pareil à des gouttes d'eau chargée en calcaire touchant du fer chauffé à blanc. En arrière-plan se dévoilent des paysages verdoyants imaginaires; on y perçoit l'écho lointain de fleurs blanches, douces et en même temps solidement enracinées dans la terre. Aussi diaphanes que des pétales séchés, la tubéreuse et le jasmin jouent ici les rôles principaux mais, loin des opulentes fleurs habituelles, elles produisent plutôt un effet de sève, ce qui constitue peut-être un clin d'œil à deux autres parfums de Duchaufour, la rosée lunaire s'écoulant lentement dans Nuit de Tubéreuse, ou bien la transparence salée de Magnolia Romana.
L'atmosphère générale du parfum est en réalité plutôt sèche, comme si elle se réfléchissait sur des milliers de cristaux de sel. Par contraste, même les arbres de cette jungle exotique écrasée de soleil produisent des fruits juteux tels que la mangue, le fruit de la passion, l'ananas, ou encore un melon si goûteux qu'il me met l'eau à la bouche. Les notes de fond dirigent le parfum vers une dominante de bois secs et de poussière si fine qu'elle rappelle l'effet crayeux de Sartorial de Penhaligon's (également de Duchaufour), effet utilisé ici pour fournir un cocon douillet et poudré à l'ensemble de la composition.
Le résultat est une fragrance au sillage dans la moyenne et à la tenue bonne, un parfum pour une femme dynamique (qu'elle pourra partager avec son compagnon), un parfum qui fait fusionner différentes familles olfactives – ozonique, floral-indolé, fruité, boisé – avec une maestria pleine de légèreté et de pouvoir de suggestion.

Enfin merci beaucoup à mon ami Tiepolo de Beauté-Test pour la superbe traduction en français de mon post.